Prix de la publication de thèse: Clara Boulanger

La Fondation de la Mer et l'Institut de l'Océan s'associent pour récompenser les meilleures publications scientifiques de l'océan publiées par de jeunes chercheurs en délivrant le Prix de la Publication de Thèse. 

Nous avons demandé à nos candidats de se présenter. Aujourd'hui, Clara Boulanger, en post-doctorat au Musée National d'Ethnologie d"Osaka, nous présente son parcours et ses recherches.

Clara Boulanger est lauréate, ainsi qu'Emma Lavaut.

Pouvez-vous vous présenter?

Je m’appelle Clara Boulanger. Je suis titulaire d’un doctorat en préhistoire réalisé en
cotutelle entre le Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris et l’Australian National University, à Canberra. Ma thèse, intitulée Aquatic resources exploitation and adaptation of Anatomically Modern Human in Island Southeast Asia : palaeoenvironmental and cultural implications vise à comprendre les modalités d’exploitation des ressources aquatiques par les premiers peuplements d’Asie du Sud-Est insulaire (Philippines, Timor Oriental et Indonésie) de la fin du Pléistocène, il y a 46 000 ans, jusqu’au début du Néolithique, il y a 4 000 ans, et de manière plus large, comment ces populations d’Homo sapiens chasseurs-collecteurs se sont appropriées ces espaces que sont la mer et l’océan, jusqu’à peupler l’Australie, il y a 65 000 ans.

Depuis mon plus jeune âge, je suis passionnée par l’archéologie. Après avoir traversé quelques moments difficiles, notamment une période de déscolarisation lorsque j’étais au collège, j’ai obtenu mon baccalauréat littéraire mention assez bien avec une spécialité en histoire de l’art en 2009, au Lycée Henri Poincaré de Nancy, en Lorraine. J’étais alors une élève moyenne, marquée par ces années peu épanouissantes, mais très ambitieuse. J’ai donc décidé que je poursuivrai mes études à Paris. En septembre 2009, j’ai donc commencé une première année de Licence en Médiation culturelle à l’Université de la Sorbonne Nouvelle – Paris III. A côté de cela, je travaillais à temps partiel, la bourse du CROUS n’étant pas suffisante. J’ai donc enchainé les petits jobs étudiant pendant toute ma scolarité.

Malheureusement, au bout d’un semestre, j’ai très vite réalisé que je préférais me tourner vers une filière qui serait plus centrée sur la recherche. C’est ainsi qu’en 2013, j’ai obtenu une Licence d’Histoire de l’art et Archéologie à l’Université de la Sorbonne – Paris IV. C’est là-bas que j’ai entendu parler du Muséum National d’Histoire Naturelle, de son master, et de sa spécialité Quaternaire et Préhistoire. Venant d’un cursus littéraire, j’étais très intéressée par cette opportunité qui me permettait d’allier au sein d’une même formation sciences humaines et « sciences dures ». C’est ainsi que j’ai intégré ce master en septembre 2013.

Celui-ci m’a vraiment permis de m’épanouir. Il m’a passionné et j’ai obtenu de très bonnes notes me permettant de m’inscrire en thèse par la suite. J’y ai rencontré des personnes qui m’ont guidée et dont l’aide m'a été très précieuse. J’y ai également pu intégrer la promotion Erasmus Mundus qui m’a permis de passer sept mois en échange à l’Université des Philippines Diliman, où j’ai réalisé mon stage de Master 2 et où j’ai découvert les faunes insulaires et la préhistoire de la région. Je me suis alors spécialisée en archéozoologie, spécialité consistant à étudier les restes d’animaux retrouvés en contexte archéologique.

Dès 2016, après mon master, j’ai commencé à étudier du matériel ichthyofaunique, c’est-à-dire des restes de poissons, provenant d’autres sites archéologiques du Sud Est asiatique et j’ai entamé une collaboration avec l’Australian National University. En 2017, j’ai fait une première année de master en géosciences à l’Université Pierre-et-Marie Curie – Paris VI où j’ai pu me former à la géochimie, notamment grâce à un travail sur les stries de croissances des coraux d’eau froide. En juillet 2017, j’ai passé le concours de l’École Doctorale du Muséum National d’Histoire Naturelle et j’ai obtenu un financement me permettant de réaliser ma thèse en cotutelle. J’ai soutenu cette thèse en janvier 2021.

Aujourd’hui, je suis au Japon, à Osaka. Je travaille au Musée National d’Ethnologie dans le cadre d’un contrat postdoctoral d’un an et demi financé par la Japan Society for the Promotion of Science. Ce contrat me permet de travailler sur un projet qui se place dans la continuité de ma thèse puisqu’il exploite les mêmes problématiques mais se focalise sur une région peu étudiée dans ma discipline qu’est l’archipel de Ryukyu, appartenant à la Préfecture d’Okinawa au Japon, au Nord des Philippines et de Taiwan. L’année qui suit sera donc consacrée à l’étude de nouveaux assemblages archéologiques et au développement de collaborations qui, je l’espère, se révèleront fructueuses.

Pour moi, la curiosité et la persévérance, avant même la réussite scolaire, sont les clés de la « réussite », et ce sont elles qui permettent de se distinguer et d’apporter un regard nouveau et indépendant. J’espère donc que mon parcours atypique et pluridisciplinaire, qui, je pense, est une force, pourra inspirer des étudiants.

Quelques mots sur votre projet de recherche?

Pendant la préhistoire, les changements climatiques et la découverte de nouveaux environnements par l’Homme ont été les moteurs des innovations techniques et culturelles. A l’échelle de l’évolution de la lignée humaine, l’appropriation de la mer a certainement constitué l’une des dernières avancées majeures en termes de confrontation à de nouveaux écosystèmes, plus particulièrement dans les régions tropicales et en Asie du Sud-Est insulaire, où la diversité des environnements nécessite une adaptation plus contraignante. Il y a 100 000 ans environ, Homo sapiens quitte l’Afrique, puis colonise l’Eurasie, et ne tardera pas à peupler la région de l’Indo-Pacifique. Peu de recherches nous permettent aujourd’hui d’évaluer les prémices de la relation exacte de l’Homme à la mer durant la préhistoire, dans cette région du monde. Celle-ci est pourtant constituée de territoires clés qui préludent à la compréhension d’une des dernières phases d’occupation totale de la planète. La mer a donc naturellement joué un rôle prépondérant dans la colonisation de cette partie du monde par Homo sapiens, et ce, dès le Pléistocène supérieur, en les dotant à la fois d’un moyen de subsistance sur des îles pauvres en faune et en flore, mais également en leur permettant le passage vers de nouvelles terres très rapidement peuplées puisque les premières traces d’occupation humaine sur le site de Madjedbebe, au nord de l’Australie, datent d’il y a 65 000 ans.

Fondée sur l’étude d’un corpus ichthyofaunique de 126 284 restes (de poissons) et l’utilisation de méthodes géochimiques (ZooMS et analyse des isotopes stables), ma recherche de thèse a pour objectif de comprendre les modalités d’exploitation des environnements marins (mais également, dans une moindre mesure, d’eau douce) et à les caractériser grâce à l’étude archéozoologique du matériel issu de plusieurs assemblages archéologiques côtiers couvrant la fin du Pléistocène et la transition Pléistocène-Holocène jusqu’au Néolithique, aux Philippines, entre 35 000 et 4 000 BP, ainsi qu’au Timor oriental et dans les Petites Iles de la Sonde orientales, en Indonésie, entre 46 000 et 1 800 ans. Un des pendants culturels de cette étude  consiste également à inférer les techniques de pêche et de collecte inventées et développées pour mener à bien cette exploitation. Ce sujet a également une incidence sur l’appréciation des phénomènes de migration entre les îles, et par conséquent de capacité à naviguer, dans cette région ponctuée de terres, souvent isolées, dans cette vaste étendue marine.

L’identification des taxons présents dans les différents sites étudiés m’a ainsi permis de conclure que l’exploitation du milieu marin était limitée à un environnement local, proche des sites archéologiques. Les Hommes exploitaient le récif corallien et les zones de mangrove parfois présentes aux alentours. Cette exploitation, même proche des côtes, a nécessité le développement de stratégies de subsistance, techniques, et même d’outils adaptés aux différents contextes locaux, ayant chacun leurs spécificités. De nombreux artefacts de pêche, tels que des hameçons ou des poids de filet ont d’ailleurs été retrouvés sur les sites archéologiques. Les populations maîtrisaient la mer et savaient en tirer le meilleur parti, les ressources de proximité ayant été suffisantes pour éviter de s’aventurer dans des zones plus périlleuses afin de se procurer de la nourriture. Je n’ai donc pas pu mettre en évidence d’éléments qui soutiennent de grandes traversées marines ou des compétences nautiques très avancées comme celles des Austronésiens qui peuplèrent le Pacifique plusieurs milliers d’années après. Je poursuis actuellement cette recherche au Japon, sur les îles de l’archipel de Ryukyu, ce qui me permettra d’élargir ma vision sur l’exploitation des ressources halieutiques en Asie du Sud-Est insulaire pendant la préhistoire.

Référence de l'article de Clara Boulanger

Clara Boulanger, Thomas Ingicco, Philip Piper, Noel Amano, S. Grouard, et al.. Coastal Subsistence Strategies and Mangrove Swamp Evolution at Bubog I Rockshelter (Ilin Island, Mindoro, Philippines) from the Late Pleistocene to the mid-Holocene. Journal of Island and Coastal Archaeology, Taylor & Francis, 2019, 14 (4), pp.584-604. ⟨10.1080/15564894.2018.1531957⟩. ⟨mnhn-02305484⟩

Clara Boulanger, candidate au prix de la Fondation de la Mer et Institut de l'Océan 2022